Comment maîtriser la responsabilité du cabinet comptable sur la mission sociale
La mission sociale est une mission à risques pénaux de contentieux et risques financiers. Elle suppose un accompagnement pour assurer au client le respect de la réglementation sociale, de la convention collective et des accords d’entreprise.
La jurisprudence l’a expliqué : en présence d’une obligation législative, réglementaire ou encore conventionnelle qui s’impose au client, l’expert-comptable doit mettre en œuvre toutes les sous-obligations de conseil.
Il doit informer son client de l’obligation, le mettre en garde sur les conséquences du non-respect, exiger que l’obligation soit respectée et refuser toute complaisance devant le non-respect de l’obligation. Dans les cas les plus graves, le professionnel peut même être amené à rompre la mission.
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Quels sont les types de responsabilités engagées sur la mission sociale?
L’expert comptable engage sa responsabilité pour :
Les erreurs matérielles peuvent se produire:
Le devoir de conseil inclut : le devoir de renseignement, le devoir d’alerte, le devoir d’exiger et le devoir de refuser.
À quel moment un client sollicite la responsabilité du cabinet?
Le client engagera la responsabilité du cabinet pour la mission sociale en cas de :
Cyril Repussard a accepté de nous parler des risques majoritairement détectés lors des contrôles Urssaf.
Cyril est un ex-inspecteur URSSAF, il a exercé la fonction d’inspecteur du recouvrement à l’URSSAF PACA durant 4 ans et a eu l’occasion de contrôler plus de 200 entreprises, de la TPE au groupe de plus de 17 000 salariés.
Il est aujourd’hui consultant indépendant et accompagne les entreprises à travers des audits de conformité URSSAF (simulation de contrôle), en assistance à contrôle URSSAF et lors des phases contentieuses conjointement avec des avocats spécialisés.
"Lorsque j’étais inspecteur j’ai eu l’occasion de réaliser de nombreux contrôles dans des cabinets d’expertise de ma région ou pour le compte d’entreprise dont le social est géré par un cabinet.
Cela est d’ailleurs de moins en moins le cas théoriquement puisque les URSSAF souhaitent de plus en plus limiter les contrôles en cabinet pour privilégier les contrôles dans les locaux des cotisants.
Les contrôles des sociétés dont le social est géré par un cabinet d’expertise diffèrent peu des contrôles dont le social est traité en interne d’un point de vue des risques détectés.
Les thèmes de redressement les plus récurrents sont sensiblement les mêmes, des sommes non soumises à cotisations qui devaient l’être, des erreurs sur les frais professionnels, les avantages en nature, ou encore des anomalies sur les dispositifs d’exonérations (Fillon, TEPA).
Ce sont les thèmes les plus fréquents en cabinet comme en entreprise, et ce sont d’ailleurs les principaux thèmes de redressement remontés lors des derniers rapports ACOSS sur le contrôle URSSAF (le dernier rapport disponible étant celui de 2016).
Pour moi il existe véritablement 2 grandes différences lors des contrôles réalisés dans des sociétés gérées par des cabinets :
- La première provient du fait que la gestion par un cabinet rajoute un intermédiaire à la production de la paie, et donc une étape supplémentaire pendant laquelle il faut transmettre au mieux les informations (variables) de paie.
Un nombre important de redressements provient d’une mauvaise transmission des informations, voire même de l’absence d’information auprès du cabinet.
L’idéal selon moi serait que les cabinets intègrent tous les trimestres (ou autre) un point de quelques minutes avec leurs clients pour échanger sur les pratiques de l’entreprise qui n’auraient pas été remontées.
Sans ces échanges il est très compliqué pour les cabinets de se positionner véritablement en conseil auprès de leurs clients. Ils sont plus dans une position de gestionnaire qui traite les informations remontées sans aller plus loin dans la démarche de conseil et de recherche de risque pour leurs clients.
- La deuxième différence est une situation que j’ai vécu à quelques reprises en contrôle. Il arrive que les cabinets n’arrivent pas à faire entendre raison à leurs clients sur des pratiques erronées, qui s’entêtent à perdurer dans celles-ci.
Je pense donc que le fait de faire traiter la partie sociale par un cabinet n’est ni plus ni moins risqué, elle apporte simplement des contraintes différentes.
Pour moi et pour que cette relation soit une réussite, il faut vraiment que le client communique sur un maximum de sujets régulièrement auprès de son gestionnaire de manière à ne pas passer à côté d’un sujet qui nécessite un retraitement en paie.
Pour le cabinet il est fondamental de proposer des points réguliers durant lesquels les pratiques sont passées au crible. Il serait aussi intéressant que les services paie et comptabilité des cabinets communiquent davantage, car c’est en comptabilité que la majorité des redressements sont aujourd’hui détectés.
C’est donc en faisant le lien entre la comptabilité et le social que les cabinets pourront véritablement se positionner en conseil en amont des risques pour leurs clients (détection de factures de séminaires, factures d’achats ou leasing de véhicules, note de frais…). "
Les outils pour maîtriser les risques sur la mission sociale :
La lettre de mission détaillée
Une lettre de mission suffisamment détaillée vous aidera à limiter le risque d’engager votre responsabilité.
L’ordre des experts comptables met à disposition un modèle de lettre de mission spécifique à la mission sociale. Ceci permet de tenir compte des spécificités de cette mission et de la compléter avec un tableau des obligations du cabinet et du client. Cette même lettre de mission précise les obligations du client ce qui vous permet de décliner la responsabilité du cabinet pour défaut d’information ou hors délai.
Attention : la lettre de mission délimite la mission du cabinet. Néanmoins, l’expert comptable il peut engager sa responsabilité également pour les éléments dont il pourrait avoir connaissance et dont il pourrait avoir besoin.
N’oubliez pas la lettre de mission des clients « historiques » du cabinet. Je ne vous souhaite pas de découvrir au moment d’un litige que la lettre de mission du client que vous avez depuis 20 ans tient sur deux lignes à l’intérieur de la lettre de mission comptable.
Un processus de contrôle interne
Mettre en place un processus de contrôle interne des dossiers permet de limiter le risque des erreurs matérielles.
Le contrôle se fait obligatoirement à la reprise d’un dossier paie au sein de votre cabinet. Pour savoir comment organiser efficacement la reprise d’un dossier paie, lisez cet article.
Pendant la mission, le contrôle peut s’organiser en interne entre les collaborateurs. Il arrive qu’un collaborateur ne « voit » plus certaines problématiques sur un dossier, car il travaille depuis longtemps sur cette mission et n’a plus suffisamment de recul.
Déterminez un responsable de projet qui organisera le contrôle chaque mois : quel collaborateur contrôle quel dossier d’un autre collaborateur.
Établissez une fiche de contrôle avec les points de vigilance pour la mission sociale. Le collaborateur complète la fiche, mets des commentaires. Ainsi, par roulement, vous pouvez organiser le contrôle au fur et à mesure de tous les dossiers.
Un collaborateur unique sur un service paie n’aura pas cette possibilité de contrôle par un autre collaborateur. Je vous conseille vivement de prendre de temps en temps un salarié en contrat de professionnalisation ou des stagiaires des écoles qui forment des futurs gestionnaires de paie. Ceci permettra de prendre du recul et organiser des moments d’optimisation et sécurisation de votre travail.
Des tableaux de contrôle
Avez-vous des outils de contrôle dans votre service?
Voici des exemples d’outils de contrôle que vous pouvez mettre en place :
- tableau de contrôle des réductions de charges
- tableau de contrôle de bases de cotisations
- tableau de contrôle des charges payées
- tableau de contrôle de la réintégration sociale et fiscale
- tableau de contrôle du calcul de la taxe sur les salaires
- tableau de contrôle de l’indemnité de rupture et des limites d’exonération de charges
Vérifiez vos abonnements pour la documentation sociale. Ils proposent souvent des outils de calculs qui peuvent vous aider à sécuriser vos calculs.
Attention tout de même à ce que les collaborateurs maîtrisent bien l’outil de contrôle fait en interne et que celui-ci a été vérifié et mis à jour régulièrement.
Une répartition de dossiers sécurisée : plusieurs critères à prendre en compte
Une bonne répartition des dossiers entre les collaborateurs du service paie permet de limiter les risques.
Certains responsables paie / experts-comptables comptent le nombre de bulletins, d’autres le nombre de dossiers. En réalité cela dépend de l’organisation du client, la communication avec lui, la spécificité de certains métiers (BTP, HCR), le nombre de bulletins sur un dossier, l’expérience du collaborateur. Le nombre de dossiers pour un collaborateur peut aller de 20 à 60 en fonction de ces différents critères.
Une bonne connaissance des dossiers, un suivi du temps passé et du planning des obligations de production des paies et charges vous permettent d’identifier les optimisations possibles dans la répartition des dossiers. Faites le point de temps en temps avec vos collaborateurs et vérifiez si leurs charges de travail leur permettent de faire les contrôles importants.
Former les collaborateurs sur la relation client en cas de risque identifié sur la mission sociale
Organisez des espaces d’échange et de partage des difficultés rencontrées sur les dossiers. Ceci vous permettra de partager votre pratique de gestion du risque. Vous pouvez aussi partager des exemples de risques que vous avez gérés et la manière dont vous l’avez géré avec le client. Quel sujet, comment avez-vous agi, quelle a été votre réflexion, dans quel cas je refuse de continuer la mission, quand avez-vous fait un écrit, etc.
Mettre en place une procédure claire de gestion des risques
Lorsqu’un risque a été identifié, gardez la preuve du conseil, par écrit ou par email. Attention à bien conserver ces éléments selon une structure commune au cabinet. Dans le dossier informatique, GED, papier, ouvrez un onglet Risques et ajoutez-y vos analyses et messages échangés avec le client. Cela vous sera utile aussi en cas de contrôle Urssaf.
Vous avez déjà entendu un client dire : « je prends le risque »
Vous devez vous assurer qu’il a bien connaissance du risque, des conséquences et vous confirme par écrit avoir bien compris. Le client peut changer d’avis quand vous demandez un écrit sur le fait qu’il assume sa responsabilité en cas de contrôle et qu’il confirme qu’il a bien été informé des risques.
Dans certains cas : travail dissimulé, mauvaise fois du client qui ne fournit pas les éléments nécessaires à l’accomplissement de la mission , etc., rompre la mission peut être le meilleur choix.
L’expert comptable peut également intervenir quand un client ne change pas une pratique risquée. La communication entre l’expert comptable et le responsable du dossier paie peut aider à débloquer la situation.
Tous les risques ne se valent pas ! Estimer la gravité du risque est un exercice à apprendre dans le cadre de la gestion de la paie. Certains risques nécessitent une information du client (parfois chiffrée) pour un arbitrage. Comme dans la vie, il est tout à fait possible de prendre des risques mesurés.
La pratique, l’expérience, les contrôles successifs des administrations, la jurisprudence permettent de cartographier les risques et les conséquences. D’où l’importance aussi des équipes paies mixtes : juniors qui peuvent avoir un regard neuf sur un dossier, avec des interrogations et des seniors qui partagent leur expérience de la gestion des risques. La richesse de la mission sociale en cabinet comptable provient essentiellement du nombre de situations différentes rencontrées, l’expérience des métiers spécifiques, accords spécifiques.
Comment faire aujourd'hui?
Reprenez les outils proposés pour maitriser les risques et choisissez celui que vous pouvez mettre en place de suite.